Upper Fort Garry et la rébellion de la Rivière-Rouge : naissance du Manitoba et de Winnipeg, et croissance du Canada
Dans les années 1840, le développement d’une économie indépendante parmi les Métis francophones et anglophones est venu ébranler l’hégémonie de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) dans la région. De son siège administratif à Upper Fort Garry, la compagnie a tenté d’affirmer son autorité sur une classe grandissante de commerçants libres et d’entrepreneurs qui fonctionnaient en dehors de la charte de la CBH. Le procès Sayer de 1849 a mis en évidence les différends sur le commerce libre, et vers la moitié du siècle, le contrôle monopolistique de la CBH avait largement disparu. Il a fait place au commerce d’une nouvelle élite entrepreneuriale, qui a établi des contacts commerciaux étendus et indépendants, et introduit une énergie et une croissance réelles au sein de la colonie.
C’est au moment où les annexionnistes canadiens ont commencé à arriver dans la colonie, à la fin des années 1850, que l’autorité de la compagnie au sein du Nord-Ouest a de plus en plus fait l’objet d’attaques par le Canada et la Grande-Bretagne. Par ailleurs, à l’amorce des négociations visant à transférer la région de la CBH au Canada, dans les années 1860, les Métis de l’Ouest se sont inquiétés, craignant que leurs droits fonciers et culturels, notamment en ce qui concerne la protection de la langue, de la foi et de l’éducation, ne soient respectés. Ni le gouvernement britannique, ni le gouvernement canadien ne déployait de véritables efforts pour apaiser ces craintes, traitant le Nord-Ouest comme s’il était inoccupé. Les préoccupations locales, inhérentes au transfert de la Terre de Rupert au Canada en 1869, se sont encore intensifiées par suite des tentatives canadiennes de réarpentage de la colonie. Un parti armé de Métis s’est alors rassemblé à un endroit situé près de Saint-Norbert, connu aujourd’hui sous le nom de La Barrière, pour empêcher le gouverneur canadien nouvellement nommé, William McDougall, d’entrer sur le territoire. Les gestes de défi des Métis à l’égard de la vente de la Terre de Rupert ont amené Ottawa à refuser de prendre à sa charge le territoire le 1er décembre de cette année-là, comme le prévoyaient les dispositions antérieures.
Louis Riel a émergé comme le leader de la rébellion des Métis à la Rivière-Rouge. Nombre d’habitants locaux ont refusé de prendre parti, demeurant méfiants des autorités à la fois canadienne et métisse. Alors que les annexionnistes, sous le leadership de John Christian Shultz, s’opposaient activement à Riel, les officiers de la CBH à Upper Fort Garry ont au moins conservé l’apparence de l’impartialité.
Dans le vide où se trouvait le gouvernement civil à la Rivière-Rouge, Riel s’est emparé d’Upper Fort Garry au début de novembre 1869, consolidant ainsi son autorité et sa domination militaire dans la colonie. En décembre 1869, il a déclaré l’établissement d’un gouvernement provisoire et a rédigé une liste de droits. Ensuite, par une journée glaciale de janvier 1870, il a rencontré Donald Smith, officier de la CBH et commissaire spécial du gouvernement canadien, à Upper Fort Garry, devant une foule de plusieurs centaines de colons locaux. De cette rencontre ont découlé une seconde convention et une nouvelle liste de droits, une entente permettant l’envoi de représentants à Ottawa pour négocier avec le gouvernement fédéral, ainsi que l’approbation de la CBH en ce qui a trait à la légitimité du gouvernement provisoire.
Riel détenait alors le contrôle absolu. L’exécution d’un orangiste gênant de l’Ontario, Thomas Scott, a conduit le gouvernement canadien à se retourner contre le chef métis. Le refus d’amnistie oblige Riel à fuir lorsque Wolseley et ses troupes arrivent à la colonie. Entre-temps, en mars 1870, l’Assemblée législative du gouvernement provisoire organise le territoire d’Assiniboia, et Ottawa approuve la liste de droits évolutive exigée par les Métis, comprenant entre autres le statut provincial, le gouvernement responsable, un système scolaire confessionnel et la garantie des titres fonciers. Au moment où le Manitoba reçoit l’assentiment royal, le 12 mai 1870, le Canada ne prend possession que d’une fraction des terres du Nord-Ouest. Même dans le Manitoba, le gouvernement fédéral retient le contrôle des terres publiques et réservent 1,4 millions d’acres pour les enfants des familles métisses. Les gouvernements géreront très mal l’octroi des terres et beaucoup ne reçoivent pas reçu les terres auxquelles ils ont droit dans la province.
En dépit des concessions obtenues par le gouvernement provisoire, et de la création d’une province, alors que les troupes nouvellement arrivées et les « colonisateurs » canadiens manifestent violemment leur mécontentement à l’égard du statut métis dans la province, les Métis sont bientôt engouffrés dans un « règne de terreur ». L’histoire ultérieure de Winnipeg, au début des années 1870, illustre comment ces premiers immigrants canadiens et leur force armée ont mis fin à toute ascension métisse dans l’ancienne colonie et ont poussé beaucoup de gens à quitter le Manitoba, en quête de nouvelles terres à l’ouest.
Au cours des événements tumultueux de 1869 et 1870, Upper Fort Garry a joué un rôle central. Ce bastion militaire a donné à Riel pouvoir et légitimité, tant dans la colonie qu’à Ottawa. C’est l’endroit des assises de l’Assemblée législative d’Assiniboia, l’endroit où la colonie s’est rassemblée pour entendre les négociations entre Riel et Smith et, juste à l’extérieur de la porte sud-ouest, le site de l’exécution infortunée de Scott.
Pendant des décennies, Upper Fort Garry a été au centre d’événements historiques. Une colonie s’est établie sur ces quelques acres à la jonction des rivières Rouge et Assiniboine, car c’était un lieu de rencontre et de commerce. Upper Fort Garry a été construit pour protéger le commerce, la colonie et les institutions juridiques de la communauté. La première province du Canada y a été créée au moment où les citoyens de diverses origines, religions et points de vue surmontaient leurs différences et planifiaient un avenir commun. Une ville a grandi à l’ombre du fort. Des moments décisifs de l’histoire de l’Amérique du Nord ont eu lieu sur ce terrain et au sein de ce fort, un site de la taille de plusieurs pâtés de maisons et abritant, durant la période la plus animée, une douzaine de bâtiments et quelques centaines d’habitants.